RAV YAAKOV POULTORAK Z.T.L.
Voici un article qui est paru dans l’excellente revue « Iguéret Ha’Hinoukh », décrivant la personnalité de cet être hors du commun :
« Had beDara- Unique en sa génération »!
C’est ainsi que Rav Ezra’hi Chlita, le Roch Yéchiva de Mir, qualifia dans son Hesped, celui qui fut l’un des Rabbanim les plus marquants et les plus appréciés de la génération actuelle : Rav Yaâkov Poultorak z.t.l.
Rav Poultorak z.t.l. est né à Paris, en 1930, de père Polonais et de mère Alsacienne. Dans sa jeunesse il participait au très actif mouvement de jeunesse des E.I, les éclaireurs Israélites de France. Tout comme beaucoup de juifs à cette époque, sa famille subit les affres de la guerre 39-45. Il fut même caché un temps chez des paysans en Bretagne. De retour à Paris, dès la fin de la guerre il participa, comme tant d’autres E.I, à l’accueil du retour des déportés à l’Hôtel Lutécia.
Elève sérieux et assidu, il fit ses études de chimie à l’ESPC de Paris. Sorti diplômé et promis à une brillante carrière, il préféra partir en 1949 pour étudier à la Yechiva de Gateshead où ses maîtres, Rav Leïb Lopian z.t.l, Rav Leïb Gurwitz z.t.l et Rabbi Moshé Schawb z.t.l. le tinrent en très haute estime. Il fut un des premiers français avec Rav Schlammé Chlita et Binyamin Schwarz z.t.l. qui furent acceptés à Gateshead.
Son pouvoir de concentration était phénoménal. Mettant à profit ses connaissances en chimie, il fut l’instigateur de la recherche du Chaatnez en Angleterre, dont les notions jusqu’alors étaient totalement inconnues.
Plus tard, lorsqu’il devint Rav et Dayan à Lyon, ses connaissances en chimie lui ouvrirent de grandes perspectives pour l’essor de la Kacherout moderne et industrielle.
En 1954, lors d’un court séjour chez ses parents à Paris, il apprit le « métier » de Mohel en hôpital sous la tutelle du Dr Merzbach z.t.l, et fut le Mohel d’un très grand nombre d’enfants et… d’adultes.
En 1955, après six ans d’intenses études, il épouse la Rabbanite Jeanine Samuel, originaire de Colmar et élève du Séminaire de jeunes filles de Gateshead. Le couple s’installe à Gateshead, dans des conditions assez précaires, comme beaucoup d’autres à cette époque de Messirout Nefech.
Il quitta la Yechiva de Gateshead en 1956, après avoir obtenu sa Semikha de Rav Gurwitz z.t.l, de Rav Lopian z.t.l, ainsi que de Rav Rabinov z.t.l de Londres avec Henri Charbit, ils furent les deux premiers élèves de la Yechiva de Gateshead qui y obtinrent cette Semikha
En 1956, à l’instigation de Rabbi Waltner z.t.l, quelques jeunes couples dont Rabbi Silver z.t.l, Rav Elkaïm, Rav Ouaknin, Rav Jean Paul Amoyel partirent à Tanger (Maroc) pour y dispenser un enseignement Toranique de grande qualité et inespéré jusque-là pour des jeunes de toutes origines et milieux sociaux. Rav Poultorak z.t.l fut appelé sous les drapeaux en France. Pendant toute la durée de son service militaire à Strasbourg, il étudiait tous les soirs avec Rav Its’hak Weill Chlita, l’actuel Roch Yéchiva d’Aix les Bains.
De retour à Tanger en août 1959, Rav Poultorak z.t.l. fut chargé de mettre sur pied un lycée-Yechiva, ce qu’il accepta de faire à la condition expresse que seuls les Avreikhim du Kollel de Tanger en seraient les professeurs de Kodesh. Le Lycée du Marshan (ainsi appelé d’après le nom de ce quartier de Tanger) eut un énorme succès, et fonctionna à merveille durant plusieurs années.
Tanger restera un modèle de Chalom et de A’hdout pour tous ceux qui, élèves et enseignants, eurent la grande chance d’avoir participé à cette merveilleuse expérience. Nombreux sont les cadres Toranique, médecins, ingénieurs etc., en France, au Canada, en Erets Israël et ailleurs qui ont été formés et orientés par Rav Poultorak z.t.l, et qui en gardent tous un extraordinaire souvenir.
En 1964, la famille vint s’installer à Strasbourg, où Rav Poultorak z.t.l fit « Chimouch » et se spécialisa en Dayanout auprès du Rav Horowitz z.t.l, lequel siégea plus tard au Beth Din de la « Eda Ha’haredit de Jérusalem.
Pendant 3 ans, il fut le Rav de la Kéhila Ashkénaze de Nice. En 1972 il fut sollicité à Lyon où il se donna corps et âme pendant 25 ans dans ses fonctions de Rav et Dayan, étant également aumônier militaire de la région Rhône-Alpes, beaucoup d’appelés profitèrent de ses compétences en cacheroute pour les aider dans leurs problèmes de cacheroute, Chabbat et fêtes.
Par la suite, il élabora l’organisation d’une Cacheroute unifiée de la région lyonnaise. Il réalisa la construction de nombreux Mikvaot, et traita divers domaines communautaires selon la plus stricte Halakha.
Devant l’ampleur de la tâche, Rav Chimon Bitton z.t.l. de Marseille l’encouragea vivement à créer le Beth-Din de Lyon, qui fut le couronnement de sa carrière, étant donné l’impact qu’il eut non seulement sur Lyon, mais également dans toute la France, et bien souvent dans d’autres parties du monde.
« Son érudition et son humanisme, son écoute de l’autre, son courage de prendre à bras le corps les problèmes les plus aigus, son sens des responsabilités, son ouverture d’esprit, sa grande culture lui auront valu la considération du plus large public, bien au-delà de la communauté lyonnaise », comme le souligna le Grand Rabbin de Lyon Richard Wertenshlag Chlita.
Dans son Hesped de sa lévaya à Jérusalem, Rav Yé’hia Teboul Chlita rappela combien la famille Poultorak avait été un phare pour le respect de la Halakha et du mode de vie selon la Torah, dans la communauté juive locale.
Il y a 10 ans, Rav Poultorak z.t.l et son épouse partirent à la retraite, et s’installèrent à Jérusalem. Profitant de cette « retraite », il créa l’association CERFI qui aide les Olim Français dans leurs choix scolaires et pour tous conseils d’orientation, et œuvra très activement en faveur de la communauté francophone d’Erets Israël. Avec trente années de Dayanout et son sens aigu des relations humaines, il s’investissait sans compter dans leur 2 pièces de Ramot Polin, un va et vient continu de gens de tous bords venaient le consulter pour trouver une solution à leurs problèmes Conseils, ‘hinoukh, guérout, guittin, chalom bayit, etc……Tous étaient chaleureusement reçus : couples, célibataires, religieux, et non-religieux de toutes origines. Il disait toujours qu’il croyait en l’Homme » et avait le respect de la personne humaine. Il était en contact permanent avec tous les Guedolim de notre génération pour solutionner les cas les plus complexes.
On lui téléphonait de tous les coins du monde pour les problèmes les plus intimes. Il ne demandait pas le nom de la personne, ni les détails de sa vie privée, mais fut à l’écoute de tous. Sa vie durant, il a systématiquement fuit le kavod et l’argent. Il disait « j’ai mon salaire, cela doit suffire », et tout ce qu’il percevait en dehors de cela (mila, guittin, ou autres) allait systématiquement à la Tsedaka, et il va sans dire que sa famille a toujours vécu dans une grande simplicité. Homme de rigueur et d’une ouverture d’esprit exceptionnelle, il fut un exemple de noblesse et d’intégrité. Il n’avait peur de rien ni de personne sauf du Tout-Puissant. Maintes fois, il fut physiquement menacé et agressé pour ses positions fermes en Cacherout et en Dayanout. Pour lui, tout se réglait « Al Pi Halakha ». C’était ça ou rien. Combien de fois a-t-on tenté de lui « glisser la pièce » pour tenter d’assouplir les exigences halakhiques en matière de cacheroute industrielle, ou bien dans des cas familialement ou socialement « instables »… En vain, car sa Yirat Chamaïm ne laissait pas la place à de telles manipulations.
Lorsqu’il arriva en Erets-Israël avec ses maigres 5000 $ d’économies, il demanda en toute candeur s’il pouvait acheter un appartement. On lui répondit oui, il y a une possibilité : à Har Hamenouhot ! Aussitôt dit aussitôt fait, c’est là qu’il repose aujourd’hui.
Quelques semaines avant son départ de ce monde, il dit à sa femme : « je pense n’avoir pas perdu mon temps dans ma vie ! En marge de l’immense travail communautaire auquel il s’attachait sans relâche, aidé par son charisme et son sens aigu des relations humaines, Rav Poultorak z.t.l. étudiait assidûment pendant son temps libre. Une mémoire extraordinaire et un immense pouvoir de concentration lui permirent de mémoriser une quantité inouïe de passages du Tanakh de la Michna, de la Guémara et des Méfarchim. Grand spécialiste de Yéchaâya qu’il a enseigné dans de multiples séminaires, il avait également une compréhension et une approche hors du commun du Sefer « Sfat Emet », qu’il mettait philosophiquement très en valeur. Il faut dire qu’il fut un proche de la ‘Hassidout Gour, à laquelle sa famille est affiliée. De plus, Rav Poultorak z.t.l. avait un sens critique aigu : il n’admettait pas les erreurs de publication, et publia beaucoup d’écrits pour corriger et remettre les idées en adéquation avec la Hachkafa.
Le monde a perdu un spécialiste d’éducation et de communication en Torah, un expert en Cacherout, un Dayan de premier plan, et surtout un véritable Manhig Hador, qui savait nous donner les repères et réinsérer dans le Derekh des hommes et des femmes de tous milieux en quête de Torah et de Yirat Chamaïm.
La disparition de Rav Yaakov Poultorak z.t.l laisse un vide immense dans la communauté francophone, qui se retrouve orpheline d’un des Rabbanim les plus affectionnés de cette génération.
Roch-Hodesh Av – Yahrseit de Aharon ha Cohen, réputé pour son amour de la conciliation et de la paix, disparaissait, celui qui fut l’un des bâtisseurs du Judaïsme dans la plus stricte Halakha, à Lyon et en France.
« Aime ton prochain comme toi-même » a été la devise de Rav Poultorak z.t.l. durant toute sa vie. Que son mérite encourage tous ceux qui l’ont côtoyé à renforcer Chmirat Hamitsvot et Ahavat Israël et que nous puissions mériter la venue de Machia’h très bientôt