Parachat Mikets : « PHARAON SE TENAIT SUR LE FLEUVE »
La Paracha de cette semaine est riche en événements.
Nous ferons ici un court commentaire sur son premier Passouk : « Après un intervalle de deux ans Pharaon eut un songe et voici, il se tenait sur le fleuve » (Béréchit, 41, 1).
Le livre de Béréchit est parsemé de rêves : c’est un univers de songes, ce qui le distingue des autres livres du Houmash. C’est là une de ses singularités.
En général, les Prophètes se méfient des rêves. Zacharie n’a-t-il pas déclaré : « Les rêves disent des faussetés » (Za 10,2) ? Pourtant, dans le livre de Béréchit, les rêves sont très significatifs et jouent un rôle fondamental : ils annoncent ce qui va se passer ou bien sont même à l’origine des événements ultérieurs qu’ils ont provoqués. Un exemple : si on peut dire que les rêves ont été à l’origine des tourments de Yossef, ce sont à nouveau des songes qui vont entraîner son salut et sa réconciliation avec ses frères.
Si on regarde bien, on peut observer que dans le livre de Béréchit, tout le monde rêve. Abraham a la vision de l’Alliance (Béréchit, 15) ; Yaakov fait le songe de l’échelle ; Hachem se révèle dans un rêve à Abimelkh, le roi de Gerar, et à Laban, l’araméen. Jusqu’aux deux employés égyptiens de Pharaon, qu’il a fait emprisonner puis chassés, qui font des rêves significatifs. Sans oublier Pharaon qui, lui aussi, rêve : « Après un intervalle de deux ans Pharaon eut un songe et voici, il se tenait sur le fleuve » (Béréchit, 41, 1).
Tout ceci nous pose question et bien sûr, ce n’est pas dans le cadre de ce commentaire que nous pourrons répondre : Pourquoi le monde d’avant Matane Torah est-il si influencé par les rêves, alors qu’après le don de la Torah, les rêves perdent de leur signification ?
Mais revenons à notre Passouk : « …il se tenait sur le fleuve ».
Le sens littéral de ce Passouk est que Pharaon était debout, au dessus même du fleuve (VEHINE OMED AL HAYEOR), et non comme il le dira plus loin à Yossef : « Je me tenais au bord du fleuve » (HINNENI OMED AL SEFAT HAYEOR – Béréchit, 41, 17).
En fait, dans son rêve, c’est tout l’orgueil de Pharaon qui s’est exprimé, orgueil qu’il a tenté de masquer dans la vie réelle en disant à Yossef : HINENI OMED AL SEFAT HAYEOR. Ezéchiel a décrit ce Pharaon comme « grand crocodile qui réside au milieu de ses rivières », et il a résumé son orgueil par la phrase : « Mon fleuve est à moi et c’est moi qui l’ai fait ! ».
Pour les Égyptiens, le fleuve c’est l’Égypte elle-même. L’Égypte qui n’existe que par la grâce et le pouvoir fertilisant et bienfaisant du Nil. Sans ce Nil qui la traverse du Sud au Nord, l’Égypte n’aurait été qu’un désert vide de tout. Le Nil a fait l’Égypte et lui donne vie jour après jour.
Le Nil est donc, en termes mythologiques, le d-ieu de l’Égypte.
Les impies, rapporte le Midrash, se maintiennent sur leur d-ieu, alors que pour les Justes, c’est sur eux que D-ieu se maintient, comme il est dit dans Béréchit 28, 12-13 : « Il (Yaakov) rêva d’une échelle appuyée sur la terre et dont le sommet atteignait le ciel. Et des anges montaient et descendaient le long de cette échelle. Et l’Eternel se tenait …ALAV ». On peut comprendre ALAV dans le sens où l’Eternel se tenait sur l’échelle, mais le Midrash suggère une autre lecture : « Sur Yaakov ».
Comparons les rêves de Pharaon et de Yaakov. Dans les deux cas, ce sont des croyants conscients du statut de l’homme face à D-ieu.
Pour Pharaon, l’idolâtre, son d-ieu est le moyen de satisfaire ses besoins et ses intérêts : « Il se maintenait sur son d-ieu ». Il croit en un d-ieu qui le porte, un d-ieu personnel qui est là pour veiller à son existence, un d-ieu que l’homme peut dominer.
Du coup, Pharaon incarne l’homme qui, tel un d-ieu, domine majestueusement le fleuve. On remarque que le texte emploie ici le verbe rêver non pas au passé (rêva), mais au présent progressif : Pharaon rêve – OUPHARO HOLEM exprime la permanence de VEHINE OMED AL HAYEOR.
Yaakov, inversement, accepte d’être le porteur de son D-ieu : il ne lie pas sa foi au fait que D-ieu le fait exister. Au contraire, il prend à sa charge d’être celui qui donne existence à la foi en D-ieu – ALAV -.
Ce texte a pour sources :
– Elie Munk, « La voix de la Thora »
– Yeshayahou Leibowitz, « Brèves leçons bibliques »
– « Le Midrash raconte »,